Henna

Hier en allant chercher mon lait je me suis faite une amie. A vrai dire, je la connaissais de vue depuis quelques temps déjà; c’est la vendeuse de l’épicerie où je vais parfois. Je suis partie en fin d’après-midi dans le but d’avoir du lait pour le lendemain, et je ne suis revenue que très tard le soir. On a commencé à discuter, puis tout s’est fait très vite, très naturellement. Ce qui est d’autant plus miraculeux qu’elle ne parle ni ne comprend l’anglais.

Elle : Facebook ? Facebook ?
Moi : I don’t have Facebook. WhatsApp ?
Elle : Ok WhatsApp. ‘Maa ‘ismuk ?
Moi : Ismii Aurélie, wa anti ?
Aya : Aya.

Sur sa main était tatoué un henna. Je lui ai demandé qui le lui avait fait, et elle m’a répondue que c’était sa grande soeur. Elle tient une sorte de salon dans la maison familial. Aya m’a demandée si j’en voulais un aussi, j’ai dis oui allez pourquoi pas j’ai rien à glander après tout, et elle a aussitôt appelé sa sœur pour la prévenir de la venue de sa cliente inattendue. Il était presque 20h00. J’ai dis à mon amie que je devais rentrer à la Guest House prévenir ceux qui m’hébergent, les parents de Boulos, de mon départ et ranger tout de même le lait. Puis je suis revenue pour l’aider à la fermeture de son magasin.

Après une bonne dizaine de coup de pieds dans l’énorme volet en métal, elle a fermé sa boutique et nous sommes parties. Elle m’a pris par la main pendant que nous marchions, sûrement parce que j’étais trop lente, et nous avons avancé à grandes enjambées. Longtemps. Finalement en plein milieu d’une rue on a rencontré un jeune homme.

Moi : Akhi ?
Aya : Na3am.

J’espérais vraiment qu’il avait une voiture parce que j’en pouvais plus, mais non, il était juste venu pour faire le chemin avec nous jusqu’à la maison. Ils ont beaucoup rigolé entre eux, surtout de moi d’après les mots que j’ai entendus, et nous avons marché encore une bonne trotte. On a fini par arriver dans un camp de réfugiés, le Camp Aida selon ce que disait son frère mais je n’ai pas saisi le nom. Arrivés dans le bâtiment, on a dû pour mon plus grand malheur monter les marches jusqu’au dernier étage.

Leur appartement est très grand et très propre. Et très peuplé aussi. Il y avait des gosses partout, tous frangins frangines. Miraculous Ladybug passait en arabe à la télé. Un des enfants a changé de chaîne et je n’ai pas osé lui demander de remettre parce que c’était un épisode que je n’avais pas vu. Tant pis.

Aya était descendue faire je ne sais quoi. La grande sœur nettoyait le plan de travail. C’est elle qui s’occupe de mon henna. Après quelques instants, elle m’a fait signe de la suivre, et je suis sortie de leur appartement, le frère sur nos talons portant dans ses bras une de ses sœurs d’un an ou deux.

Nous sommes allés au rez-de-chaussée; c’est là que se trouvait son salon. Je me suis installée sur le canapé, le frère à côté qui jouait avec la petite. Une autre soeur, Yaasmiin, est entrée et m’a présentée des modèles de henna. J’ai choisi celui qui me plaisant le plus et elle s’est occupée de le faire.

Aya a fini par revenir, accompagnée de sa mère. Ou d’une soeur très vieille ? M’enfin on va dire que c’était la mère, sinon ça fera trop de répétitions du mot «soeur» dans l’article.

La mère s’est dévoilée et s’est installée dans un coin de la pièce pour fumer. Elle était très gentille, elle a dit que j’étais jolie et que c’était bizarre parce qu’en général les français font la tronche et sont moches.
Elle était assez en admiration devant mes cheveux. Elle avait les mêmes, mais version lisse.

Mère : Your face look arabic.
Moi : Yeah I know. Everybody told me that. Strangers and palestinian people.
Mère : Your mother is arabic ?
Moi : No she’s French. Like all my family. And she has straight and blonde hair. I’m the opposite.
Mère : Oh. And the hair of your father ?
Moi : Heu… he doesn’t have any hair.

Ils papotaient en arabe pendant que Yaasmiin faisait mon henna et que j’imaginais que ma mère avait eu une aventure proche-orientale il y a 18 ans de cela, expliquant ainsi les traits si arabes de mon visage.
Le tatouage au henna est plus facile à faire que je ne l’aurais cru. Yaasmiin a appliqué le calque du motif sur le dos de ma main et a posé la pâte, point par point. Une fois terminé, il faut attendre que sèche la couleur.

Aya : You want eating ?
Moi : Laa. Min fadlek wa7id 9ahwa.
Frère : Coffee ? Or tea ? Shay ?
Moi : No shay. 9ahwa.

Aya a fait du café pour sa mère et moi, puis la grande sœur a enlevé le calque. Je me suis levée pour qu’elle fasse sécher le tout à l’aide d’un sèche-cheveu. Ensuite, avec des coton-tiges coupés en deux, elle a enlevé le surplus de pâte. Une fois bien sèche, je me suis rincée la main. Mon henna était fini.

J’ai payé la grande sœur un peu moins de 20 shekels. Aya m’a proposée de me raccompagner hors du camp et de m’appeler un taxi quand nous serions dans la rue principale.

Moi : Yalla ?

Puis on est parties. J’ai remercié toute la tribu, sauf le frangin qui s’en était allé après un coup de fil depuis un moment. J’espère avoir l’occasion de les revoir un jour. Nous sommes donc reparties dans le sens contraire. En chemin, Boulos m’a appelée, inquiet au vu de l’heure. Dans la grande rue, Aya a arrêté le premier taxi qui est passé. On s’est jetées un bref «bye-bye!» puis je suis montée.

Le taximan, comme tous les taximen ici, s’est empressé de me dire que oui oui oui pour moi uniquement il me fera de bons prix si je veux visiter Hébron, la mer morte, Hérodion et tout le tintouin. Il a regardé mon henna et m’a parlé de son frère qui est tatoueur qui pourra me faire de bons prix, et si jamais je suis intéressée, son père vend des cafés près du mur de séparation. Et il fait de bons prix.

Taximan : Can I have your phone number ? I will call you sunday if you want to go to Jéricho.
Moi : Okay…  Tis9a, thalaatha, thamaanya, khamsa, wa7id, thamaanya.
Mohamed : Thank you. I will call you. My name is Mohamed.

Bon courage pour m’appeler avec mon numéro calédonien, Mohamed. Il m’a déposée devant House of Peace, la guest house. Je lui ai filé ce qu’il me restait de pesos, soit pas grand chose, puis je suis montée dans ma buanderie-chambre, après avoir bien signifié aux parents de Boulos que j’étais toujours en vie. Je leur ai montré le résultat, mais ils n’ont pas eu l’air aussi ravi que moi.

Anton : You take all this time… only for that ?

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